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Caspar David Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages

« Un voyage, fût-il de mille lieues, commence sous votre chaussure », Lao-Tseu. Marcher de nos jours de sembler une occupation désuète, inutile voire anachronique. La technologie en effet nous offre toutes sortes de moyens pour gagner en vitesse dans notre monde de l’utilitaire, du rendement, de l’efficacité. Finalement, elle fait de nous des aliénés connectés en permanence qui n’ont plus qu’un écran comme interlocuteur et qui ne sont plus présents à rien.  Marcher peut donc être apparenté à un acte de résistance qui privilégie la lenteur, le silence et  la solitude parfois, mais toujours la disponibilité et l’ouverture d’esprit, la gratuité …une subversion du quotidien !

La marche comme le premier médicament

« La marche est le meilleur remède pour l’homme », dit Hippocrate. C’est un sport véritablement complet qui, en plus de maintenir en bonne forme physique, sollicite les articulations, les muscles, les tendons et surtout le système cardio-respiratoire. Marcher régulièrement agit directement sur les appareils circulatoire et locomoteur. Ceux qui la pratiquent allongeraient leur espérance de vie de près de 2 ans. En outre, les études montrent que réaliser 30 à 60 minutes de marche quotidiennement entraîne une perte de poids significative et lutte contre l’obésité.

Une ressource pour la santé mentale

La marche contribue également à réduire les symptômes de la dépression;  c’est aussi un moyen de lutte contre le stress car elle renforce notre présence à ce qui compte, au corps, écartant de l’esprit les trivialités du quotidien. Elle génère de la dopamine, le neurotransmetteur du plaisir et de la coordination motrice. Il semble que, si elle induit des ressentis émotionnels agréables, c’est parce que, dans l’évolution de notre espèce, elle est liée à la recherche de choses gratifiantes comme le repos. 

Les bienfaits pour le cerveau :

« Chaque jour, la marche me procure mon bien-être quotidien et m’éloigne de la maladie. Mes meilleures pensées sont venues en marchant », Kierkegaard.

La marche est également le « partenaire santé » privilégié du cerveau. Marcher 40 minutes 3 fois par semaine aurait des effets protecteurs sur les zones du cerveau en charge de la mémorisation. En plus de cette vertu, elle facilite la créativité car le cerveau est alors en « mode diffus », c’est-à-dire que les pensées vagabondent sans but précis, ce qui permet de trouver des solutions à des problèmes ardus, de concevoir des innovations. 

La marche et la vie intérieure:

Marcher est une échappée loin des routines quotidiennes,  une suspension dans laquelle le corps est prolongé vers son environnement. C’est un moyen d’augmenter sa présence au monde grâce aux conditions de disponibilité et d’accéder à d’autres dimensions du réel. Dans cette échappée, les masques sociaux, les rôles factices imposés n’ont plus de sens, c’est un retour aux plaisirs simples et à l’élémentaire : manger boire se reposer dormir. La marche invite au détachement et au dépouillement de soi. On peut voir une façon de reconquérir une authenticité dans ce retour à l’essentiel, un allégement de l’esprit pour reprendre son souffle. La marche n’est-elle pas liée au premier mouvement de l’être humain qui n’a de cesse que de se mettre debout et de vouloir marcher ?

Un nouveau rapport à l’espace

Elle induit un nouveau rapport à l’espace et à la nature. Elle participe d’un éveil sensoriel au monde par les odeurs, la lumière, les couleurs, les bruits. Le rapport à l’espace en particulier car, quand on a fait des heures de marches pour franchir un obstacle géographique, le repos contemplatif et  la beauté d’un paysage sont comme une récompense d’autant plus intense qu’elle a été méritée. 

Un  temps suspendu

Marcher demande du temps. Cette lenteur allonge considérablement la journée alors que l’on ne fait que mettre un pied devant l’autre. On a ainsi l’impression d’avoir étiré démesurément les heures : le temps ralentit, prend une respiration plus ample. Il s’agit d’habiter l’instant présent, d’être dans l’ici et maintenant, ce qui nous plonge dans une forme active de méditation, sollicite une pleine sensoraialité.

Vie intérieure et philosophie

Dans la mesure où la marche est un moment de présence au monde, elle redevient une forme de spiritualité en ce qu’ elle nous ramène à l’essentiel, c’est-à-dire à nous-même, ici et maintenant. Aristote (philosophe grec du 5e siècle avant Jésus-Christ) qui enseignait au Lycée en marchant avec ses élèves est le chef de file du péripatétisme, mot qui signifie en grec « marcher » -dont le sens a été détourné pour désigner l’activité de celles qui font le trottoir les péripatéticiennes. On connaît aussi l’ouvrage de Robert-Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, les  Rêveries du promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau, mais aussi la promenade de Kant dans les jardins de Königsberg, les promenades de Nietzsche, etc. C’est en marchant qu’ils ont composé leur œuvre, reçu et combiné leurs pensées, ouvert de nouvelles perspectives. Marcher, c’est passer d’un pied sur l’autre, penser, c’est-à-dire envisager une idée puis une autre car la pensée est toujours en mouvement, instable, comme dans la marche. Il s’agit dans les deux cas d la recherche permanente d’un équilibre sans cesse négocié entre deux positions.  Montaigne avait l’impression que, s’ il s’asseyait, ses pensées s’endormaient :« Esprit ne va si les jambes ne l’agitent. », comme si nos jambes étaient le moteur de notre pensée. La philosophie donc  la pensée semblent donc consubstantielles à la marche. Comme si la marche n’avait pas d’autre but qu’elle-même : par nature elle est autotélique. Elle nous permet de nous retrouver, de retrouver le monde, de féconder notre vie intérieure.

«Je suis le piéton de la grande route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant. » Arthur Rimbaud, Enfance

  
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