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Sur ce blog, j’ai déjà eu l’occasion d’exposer une lecture de l’histoire des Trois Petits Cochons. Aujourd’hui, il s’agit des « belles endormies » de nos contes de fées, que l’on rencontre dans de nombreux textes.

Les contes, un fonds de sagesse universelle

Depuis les travaux de Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées, il est notoire que ces récits légendaires révèlent des vérités essentielles sur la vie. De même que les grands poèmes épiques, les légendes ou les chansons du folklore, leurs auteurs sont anonymes. Les points communs entre tous ces textes sont nombreux car ils plongent leurs origines dans une même matrice mythologique qui est inscrite dans la préhistoire, antérieure donc à toute littérature écrite. Quelles que soient les origines spatio-temporelles de ces récits, on y rencontre souvent un château seigneurial, un prince, une princesse, un vieux roi, un lieu enchanté, des personnages féeriques. C’est bien de textes fondateurs dont il s’agit, c’est-à-dire d’une combinaison de symboles qui ont pour mission de transmettre des savoir édificateurs destinés de façon pérenne et universelle à la mémoire collective. Leur but est de répondre à des questions, des angoisses, ou de résoudre des énigmes que des individus isolés ne peuvent appréhender.

Les belles endormies

De très nombreux contes évoquent une belle endormie victime d’une malédiction qui sera rompue par la visite d’un héros. Tel est le cas dans la Belle au bois dormant, l’histoire de Psyché et Cupidon, ou encore de Siegfried et la légende des Nibelungen. Le dispositif est analogue. Dans la Belle au bois dormant, une méchante fée, fâché de ne pas avoir été invitée au baptême, condamne l’enfant à mourir, piquée par un fuseau mais une fée opportunément cachée rattrape le sort et transforme la mort en un  long sommeil de cent ans. Malgré toutes les précautions prises par les parents, la belle ne peut échapper à son destin. Un jour, elle se pique la main et s’endort pour cent ans, ainsi que tout le reste du château. Au bout de cette  période, arrive le prince charmant qui va la réveiller.

Une histoire d’adolescence

Bruno Bettelheim a analysé ce conte en particulier et voit dans ce sommeil une période de repli sur soi-même, caractéristique de l’adolescence. Le conte met en scène les différentes phases de la vie d’une femme : l’enfance, l’adolescence avec le sang menstruel provoqué par le fuseau, le repli sur soi et l’attente du prince qui viendra la réveiller. C’est une épaisse muraille d’épines qui protège la belle de tout contact sexuel prématuré. La leçon est qu’un éveil sexuel trop précoce, avant que le corps et l’esprit ne soit prêt, est destructeur.

La tentation de la léthargie narcissique

Une autre lecture a été proposée : ces belles endormies, Blanche-Neige qui s’endort dans une cage en verre ou la Belle au bois dormant, expriment le rêve d’une beauté et d’une perfection éternelles qui les font demeurer dans un sommeil léthargique, dans un isolement narcissique. Dans ce repli sur soi protégé du reste du monde,  la souffrance en effet est exclue, mais sont également exclues la connaissance et l’expérience de nouveaux sentiments.

Du  nécessaire réveil

Le passage d’un stade de maturation à un autre expose à des dangers. C’est pourquoi le repli narcissique est tentant mais conduit à une existence dangereuse, létale quand elle est considérée comme une fuite devant les incertitudes de la vie. C’est comme si le monde entier était alors mort pour l’adolescent. Si nous sommes insensibles au monde, le monde cesse d’exister pour nous. Le monde ne devient vivant que pour ceux qui se réveillent du danger de dormir sa vie. Pour se réveiller à la vie,  il est nécessaire de se relier positivement à l’autre. La vie ne peut continuer que si la jeune fille ou le jeune garçon évolue vers l’ état d’adulte. Lorsque l’harmonie intérieure est réalisée, alors l’harmonie est possible dans les rapports avec les autres. Une longue période de concentration et de contemplation permet de conduire à de grandes réalisations, contrairement à ce que pense de nombreux éducateurs qui considèrent qu’ un objectif bien visible est la condition de la réussite.

… et les beaux endormis

Des récits analogues mettent en scène un jeune garçon. Le sommeil, le repli sur soi de l’adolescent correspond à une période paisible de croissance et de préparation d’où émergera l’homme. Il apprend ainsi à connaître et à maîtriser le monde intérieur comme le monde extérieur. Après avoir rassemblé ses forces dans la solitude, le silence, l’adolescent doit devenir lui-même, c’est-à-dire tourner le dos à la sécurité de l’enfance (il est perdu dans une forêt hérissée de dangers), il doit affronter les angoisses et les tendances violentes d’autrui, apprendre à se connaître afin de perdre peu à peu son ancienne innocence. Ce sont des projections de deux aspects différents du même processus où les individus doivent s’engager au cours de leur croissance.

Du sommeil comme une mort

Ce sommeil qui s’abat sur le château et tous ses occupants est un motif universel. L’endormissement est déjà présent dans les tragédies du Grec Eschyle ; on le trouve également dans les histoires d’ermites qui sont restés dans le sommeil ou en extase pendant cent ans dans les légendes antiques, chrétiennes et médiévales, ainsi que dans certains récits de Chrétien de Troyes ou de Marie de France. Le long sommeil équivaut à la mort. On peut se souvenir que, dans l’Antiquité grecque, le sommeil et la mort, Hypnose et Thanatos, étaient des dieux frères,  Thanatos symbolisant la mort et Hypnose le songe, la nuit. Être endormi peut signifier que quelque chose est mort dans la conscience, c’est-à-dire refoulé dans l’inconscient. Dès lors, après la mort vient la Renaissance, après le sommeil vient le réveil.

…dont il faut s’éveiller

Certains analystes ont vu,  dans la grande Renaissance du 16e siècle, une belle, endormie dans la salle de la connaissance, réveillée par les aspirations passionnées qui animaient les artistes revenus aux modèles de l’Antiquité. Cette belle sommeillait depuis le siècle de Périclès. Ainsi peut-on penser que l’être humain recèle dans son inconscient, collectif ou individuel, des savoirs, des trésors qui sont comme des « belles endormies » attendant le baiser qui les éveillera…

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