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 Ce concept est lié à la notion de changement qu’il sert à appréhender. Il s’opposerait ainsi à l’immobilité, au néant, à l’absence de vie ; il est donc fondamentalement lié à la condition humaine.

Il structure notre pensée et notre vie quotidienne, au point même que la précision de sa mesure a toujours représenté une quête scientifique. On le mesure maintenant avec une précision de l’ordre de 16 chiffres après la virgule d’une seconde ! Pourtant, nous avons chacun un rapport au temps différent et la conception du temps n’a pas cessé de fluctuer depuis la préhistoire jusqu’à nos jours.

Dans la mythologie grecque :

Les premières réflexions autour du temps sont apparues chez les Grecs de l’Antiquité. Ils ont ainsi défini 3 types de temps :Chronos, Kaïros et Aiôn.

Le temps Chronos.

Le temps Chronos est celui que nous connaissons tous, tel qu’on le conçoit en occident, le temps physique, linéaire, que nous mesurons « chronologiquement ».Il permet de segmenter le temps en passé, présent et futur, grâce aux unités de mesure :  la seconde, la minute, l’heure, etc. Ce temps est quantitatif et linéaire. Dans la mythologie grecque, Chronos était le fils de Gaïa et d’Ouranos son père, qu’il détrôna pour prendre sa place. Puis, pour être sûr de ne pas subir le même sort, il dévora chacun de ses enfants dès sa naissance, sauf Zeus qui lui ferait subir le même sort plus tard. Représenté par une montre dont les aiguilles avancent inexorablement sur le cadran, Chronos, castrateur et cannibale, est celui qui nous dévore. On le reconnaît grâce à la faux avec laquelle il tua son père. On peut y voir la préfiguration de la faucille, dans notre Occident médiéval, attribut de la mort.

Kairos ou le temps intemporel et métaphysique.

Le dieu grec Kairos est l’un des dieux les plus subtils du panthéon, souvent représenté par un éphèbe dansant, aux talons et aux épaules ailées qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, soit on ne le voit pas, soit on le voit et on ne fait rien, soit on tend la main : on « saisit l’occasion aux cheveux », l’opportunité. « La chance est chevelue sur le devant », disait-on au Moyen-âge. Kairos a donné en latin « opportunitas », l’instant T  de l’opportunité : avant est trop tôt, après trop tard. C’est le bon moment, c’est tout. Les enfants sont particulièrement sensibles à ce temps intemporel. C’est le point de basculement décisif, avec un « avant » et un « après », où quelque chose de spécial arrive le temps de l’occasion opportune, du

 « moment juste ». C’est pourquoi on peut se dire: « Maintenant est le bon moment pour agir », sans qu’il n’y ait d’éléments objectifs validant cette affirmation.

Kaïros est ainsi le temps numineux (il relève d’un phénomène mystérieux, inexplicable rationnellement) dans le sens qu’il saisit l’individu, au-delà de lui-même. Il s’accompagne d’un sentiment de présence absolue, une présence divine ou tout du moins spirituelle. Cela est en fait l’expression de la sensation du temps Kairos : il n’est pas linéaire, il est qualitatif ; il ne se mesure pas, il est immatériel et se ressent. C’est une autre dimension du temps qui crée de la profondeur dans l’instant.

Aiôn : le temps cyclique.

Le temps Aiôn divinité grecque associée au temps, au cercle englobant l’univers (selon les croyances grecques) et au zodiaque. C’est le temps des cycles, comme les saisons, la respiration, le sommeil, etc.Il n’a pas de bornes et peut également signifier la destinée, l’âge, la génération ou l’éternité. On retrouve notamment le terme Aiôn en géologie. Il désigne une période indéfiniment longue (phases géologiques de formation de la Terre ou ères [du Latin « aeris » = « ère »]).

Aux temps très anciens de l’Indo-Européen

La racine Européenne « tem » donnera le grec « temno » (=couper, enlever en coupant), dont dérivent de nombreux mots : « -tomi-«  (trachéotomie, lobotomie),  « tomos »= la tranche (en  Français le tome.). On le retrouve également dans le Latin « templum » : l’espace délimité par les augures dans le ciel à l’aide d’un bâton « séparer » du monde naturel un espace et un moment, par un procédé de sacralisation… puis le temple, enfin dans « tempus » (= fraction de la durée, division du temps, temps).

Cette même racine donnera le « time » anglais ainsi que le mot « tide » (=la marée).

Au moyen âge, notre mot « temps » devient « tens » : vivre en harmonie avec son temps implique de savoir reconnaître quand le contexte n’est pas favorable au développement de son projet. Cette « intelligence de situation », qui se nourrit de notre expérience, nous donne les bons repères pour dépenser notre énergie à bon escient et nous abandonner, avec douceur et confiance, à notre ressenti intérieur : un écho au temps Kaïros…

Et le temps des penseurs

Définir le mot « temps » est un sujet de clivage entre philosophes et savants.
L’évêque algérien d’Hippone saint Augustin, théologien et philosophe, disait : « Si on ne me demande pas de définir le temps, je crois savoir ce qu’est le temps ; mais si on me le demande, je ne le sais plus ».


Pour Blaise Pascal, il est impossible et même inutile de définir le temps. « Pourquoi, disait-il, le définir, puisque tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant du temps, sans qu’on le désigne davantage ?» Il est indéniable, que si dans le langage ordinaire, le temps est une suite indéfinie des jours, des mois, des années, en philosophie occidentale, la définition du temps dépend de la représentation qu’on se fait de l’essence du temps.

Le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) ne considère pas le temps et l’espace comme des concepts abstraits de l’étendue et de la durée concrètes : on ne peut faire abstraction ni du temps ni de l’espace. L’un et l’autre sont des intuitions a priori, des formes pures de la sensibilité : l’espace et le temps font partie de nous-mêmes, puisque nous ne pouvons pas nous en abstraire. On peut éliminer par l’imagination tout ce qui nous entoure, les gens, les maisons, les voitures, les arbres, mais on ne peut supprimer l’espace ni faire abstraction du temps même si je nie que tel fait ne s’est pas produit.

Toutes ces théories ont été ruinées définitivement par un philosophe français, Henri Bergson (1859-1941) et par  un savant américain, Albert Einstein (1879-1955).

Albert Einstein a remis en question et révolutionné les notions classiques du temps et de l’espace ; selon la théorie de la relativité, l’espace et le temps ne peuvent se définir indépendamment l’un de l’autre. Le temps se mesure par l’espace : lorsqu’on dit il est deux heures du matin, on vise l’espace de la montre ou de l’horloge parcouru par l’aiguille entre les chiffres 12 et 2.

Henri Bergson a montré que le temps mesurable par l’espace, ce que les philosophes appellent temps abstrait, est le temps homogène ou temps mesurable au chronomètre…. une conception symbolique qu’il ne faut pas confondre avec la durée concrète qui est perçue immédiatement par la conscience, comme un mouvement de la vie intérieure, étrangère à l’espace. En revanche la durée, c’est le temps pendant lequel on attend avec ou sans angoisse, où les minutes peuvent être longues ou courtes selon les circonstances ou les individus. Une heure d’horloge reste toujours une heure qu’elle soit une heure d’ennui ou de plaisir.

Nicolas Berdiaef, philosophe russe (1874-1948) : « Si habituellement, nous tenons tant à l’observation des heures, c’est que nous ne sommes guère heureux, c’est que nous sommes trop souvent misérables. Les heureux ne comptent pas les heures. Une vive souffrance est ressentie comme l’éternité d’un supplice infernal.»

« Nous ne sommes pas dans le temps, c’est le temps qui est en nous. »


                           Temps et rythme en médecine


Des études scientifiques récentes ont montré que l’élément constitutif de la durée, c’est précisément le rythme qui est caractéristique de toute vie (rythme de la respiration, battement du cœur, etc.) En biologie, la durée joue un rôle actif et prépondérant. Il existe les rythmes de période courte (de quelques secondes ou fractions de seconde) et les rythmes de période longue. Ces phénomènes biologiques que constituent les rythmes ont non seulement développé la chronobiologie, la choronotoxiologie, la chronopharmacologie, la chrono thérapeutique (heure de prise d’un médicament, temps nécessaire à la guérison d’une blessure.)

Faire le choix de l’action juste ou de l’inaction…

La gestion du temps est liée à la gestion de son énergie, et, plus largement, à la gestion de soi. Davantage de fluidité et de liberté dans l’organisation de ses journées, mieux gérer son énergie et d’économiser ses efforts, rendant celui qui l’adopte plus ouvert aux opportunités et disponible pour saisir le « moment juste » cher à Kairos… A l’heure où nous dégainons nos smartphones dès lors que se profile la moindre seconde d’attente, ne rien faire s’inscrit désormais dans une douce et pacifique résistance. Il est salutaire de s’accorder de temps en temps la liberté d’abandonner le sentiment de contrôle et cette injonction à l’activisme profondément ancrée en chacun afin de goûter  au vrai lâcher-prise, celui qui se fonde sur une saine confiance que tout va pour le mieux en cet instant. L’action est pleine de vertus, mais savoir s’arrêter et ne rien faire l’est tout autant

Quel est votre rapport au temps au chronos et au temps kairos ? En alignant ces deux dimensions de temps, Chronos et Kairos, en les synchronisant pour les mettre en cohérence, l’expérience montre que la personne ressent une sensation de paix intérieure. Une personne peut sentir que c’est le moment pour elle de changer. Le coach fera émerger alors les motivations profondes (temps Kairos) et travaillera avec elle à poser les jalons temporels (temps Chronos) pour permettre le changement, dans le cadre d’une reconversion professionnelle par exemple. Il s’agit de mettre en cohérence et  synchroniser le temps Chronos et le temps Kaïros.

Le temps et la génération Y

Les nouvelles technologies ont modifié ce rapport, on parle maintenant d’immédiateté de l’information. Un élément de la culture de la génération Y, c’est l’information disponible immédiatement. Une information peut faire le tour de la planète en quelques minutes. Cela pose quelques soucis à l’arrivée en entreprise. En effet, le jeune Y apprendra que les processus prennent un temps (Chronos) plus long que le seul instant.

Développer une approche intuitive du temps

Se mettre à l’écoute de son ressenti intérieur pour synchroniser nos actions à notre intuition nous aide précisément, par l’observation de nos émotions, de nos pensées et de tout ce qui se joue autour de nous, à déceler le moment opportun pour s’atteler à son projet.

Cette approche intuitive, qui s’inscrit dans la droite lignée du mouvement Slow, n’est pas incompatible, loin s’en faut, avec une bonne et saine gestion de son temps. Le fait d’arbitrer ses priorités, qu’elles soient mensuelles, hebdomadaires ou quotidiennes, ou encore de planifier son travail ou ses projets dans un temps défini ne s’oppose pas, bien au contraire, à la nécessité de marquer des pauses et de ralentir le tempo quand le besoin s’en fait sentir.

La slow life

Le mouvement Slow a vu le jour dans les années 80 face au sentiment d’accélération du temps. Plus précisément, c’est en 1986 que Carlo Pétrini, journaliste gastronome, crée en Italie le mouvement Slow Food en réponse au fast-food. Pour cesser de courir en permanence après le temps et s’échapper de l’étau de la vitesse, l’art de vivre slow nous invite à instiller plus de lenteur dans les différents domaines de notre vie. La slow life invite, avant tout, à vivre intensément l’instant présent et à ralentir en douceur pour repenser ses priorités et accorder du temps à ses essentiels. Penser sa vie plutôt que de la subir : véritable philosophie de vie vers davantage d’authenticité.

C’est précisément ce que les enseignements de Bouddha dans la Roue du Dharma nommait déjà, il y a plus de 2000 ans :  faire le choix de l’action juste. Revenir au temps, cher aux Grecs : celui de Kaïros…

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